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Channel: Le blog de Lilia Hassaine
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Soixante jours dans la peau d’une… serveuse.

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Trois années sur les bancs des classes préparatoires parisiennes, un parcours lisse, trop lisse pour connaître « la vraie vie », comme ils disent. A 20 ans et des poussières, des projets mal formulés, et déjà fatiguée par les ambitions démesurées qu’on voudrait me voir porter,  j’ai soudain mal aux yeux et aux jambes. Ça fourmille. J’ai encore la trace des chaises sur lesquelles j’ai passé des années,  celle de la bibliothèque, celle de mon bureau, celle de ma classe et celle de la cantine. Ma licence en poche, il faudrait continuer en master, puis en doctorat, puis ceci, puis cela, couvée par une administration propre à faire de nous, jeunes universitaires, de bons fonctionnaires. La classe préparatoire m’a apporté tout ce que j’avais espéré de mes années de lycée, une culture générale solide, une certaine rigueur, et un sens aigu de l’organisation ; et pourtant, maintenant que ces années d’ « assistanat éducatif » se terminent, je suis un peu perdue, et j’aspire à autre chose, au moins pendant l’été. Rencontrer des gens, gagner un peu d’argent (rime chère à notre cher président), par moi-même, sans finir la journée les mains pleines d’encre bleue.  Quelques annonces sur internet plus tard, c’est un site de restauration qui me répond par un « mail automatique » : « Monsieur XXXX est intéressé par votre candidature, veuillez le contacter au XXXXXX ».  Serveuse, moi ? Pourquoi pas.

Je suis convoquée dans une brasserie du 8ème arrondissement un dimanche après-midi, à la surprise générale de mes amis (« quoi ? Un entretien le dimanche ? »). L’entretien se passe bien, très bien même :

« - Vous avez de l’expérience dans le métier ?

-Non.

-Vous savez faire un café ?

-Non.

-Et les bières ?

-Non plus.

-Très bien, je vous prends. »

Logique implacable. De fait, on me dispense une formation accélérée en 10 minutes : je réalise ma première bière, avec plus de mousse que de boisson, je tremble devant la machine à café, mais je finis par y arriver, à peu près. Le patron, très compréhensif, m’explique qu’il a lui-même tout appris « sur le tas », et que c’est en faisant que j’apprendrai. Il me donne sa confiance, ce qui sera mon seul mais précieux bagage dans cette expérience, et m’informe que je commencerai le lundi suivant. Bien sûr je sais que je n’ai que peu de mérite, si ce n’est d’avoir eu l’air motivée, sérieuse et volontaire, et que j’ai  eu surtout beaucoup de chance, mais je ressens tout de même une once de fierté : « cher papa, chère maman, moi aussi je peux trouver du travail. »

Les premières réactions à l’annonce de mon projet estival furent variées mais se partagèrent grossièrement en deux catégories : les admiratifs et les sceptiques. Les premiers, à l’instar de mes parents, m’encouragèrent, tout en m’abreuvant de remarques percutantes : « tu verras, c’est dur. » Les seconds ne parvinrent pas à masquer leur surprise, voire leur mépris : « Serveuse ? T’es sérieuse ? Avec ce que t’as dans la tête ? non mais y a pas de honte à avoir… c’est juste que…  enfin, tu vas quand même pas faire ça pendant trop longtemps hein ? » . Deux mois. Rien que deux mois. Il y a deux mois je planchais six heures durant sur la composition française du concours de l’Ecole Normale Supérieure, dans deux mois je serai enrichie d’une expérience autre,  que je reçois comme un cadeau, parce que je suis certaine d’apprendre plus en soixante jours qu’en dix ans de cours de philosophie.

  Premier jour : La fosse aux lionceaux.

Le patron m’avait prévenue, mais je ne m’attendais pas à ce que la clientèle masculine soit si importante. Je comprends désormais mieux pourquoi j’ai eu ce poste: en tant que femme, la discrimination positive a certainement joué son rôle.  Je travaillerai donc 39h par semaine, pour un salaire confortable lorsque l’on est étudiante et qu’on a le soutien financier de ses parents, mais peut-être un peu juste pour une femme seule, habitant Paris, et qui aurait des enfants à sa charge. Fort heureusement, les pourboires sont une ressource non négligeable : il s’agit donc d’être agréable et souriante, et ce dès le matin.

Mon réveil sonne à 05h30, et j’ai décidé de prendre le bus à l’heure où Paris est encore aux oiseaux. Certaines personnes rentrent tout juste de leur nuit de travail, tandis que les salons de coiffure sont aux « femmes » de ménage. On croise les gens qui ramassent les poubelles, et les jeunes filles branchées, sorties toute la nuit, qui rentrent chez elles la mine défraichie. Et puis il y a « elle », c’est à dire « moi » en langage Alaindelonien. Elle arrive à 6h45 à la brasserie, tout est encore fermé, et elle fait les 100 pas devant la devanture, l’air songeur. Un homme la rejoint. Il s’appelle Marcel : « Alors comme ça tu fais le trottoir le matin avant ton service? »  Ambiance.  Marcel, c’est le serveur confirmé de l’établissement,  un «rieur » professionnel, qui fait les blagues de comptoir les plus grasses au monde. C’est aussi quelqu’un de simple et de profondément gentil, qui m’a aidée dès le début à trouver mes marques très rapidement.

Dès l’ouverture de la brasserie j’ai compris qu’être serveuse n’allait pas être aussi poétique que je pouvais l’imaginer. Les films américains nous abreuvent de caricatures romantiques, participant à la création de fantasmes idiots dans lesquels plongent bons nombres d’hommes et de femmes, moi la première : le syndrome de Cendrillon. Jennifer Lopez comme serveuse, ou Julia Robert comme prostituée, il est vrai que l’idée est séduisante au cinéma… surtout quand un riche homme d’affaire se mêle à l’histoire, et que la « love story » est au rendez vous.

Cependant, la réalité est tout autre : à l’ouverture, je n’ai croisé ni riche héritier, ni prince charmant. A cette heure-là, le comptoir est aux chauffeurs de taxi et aux ouvriers de nuit ; le boulanger nous dépose du pain et des croissants, les livreurs viennent se réchauffer autour d’un café. Il y a du monde, je suis seule et un peu débordée, mes gestes sont lents et mal assurés, mais la plupart des clients sont compréhensifs. Le patron m’explique tout, patiemment. Même si Brad Pitt entrait, je ne le reconnaitrais pas de toute façon : je suis concentrée et appliquée pour chacun de mes mouvements, afin de gagner en dextérité. Je réapprends aussi à faire des additions et des soustractions de tête, et je fais travailler ma mémoire comme jamais. Je débute à peine et je dois déjà servir en terrasse, en salle et au comptoir : oui, la journée sera longue.

Aux alentours de 9h du matin, la clientèle change de visage : des hommes en costume se mettent en terrasse avant d’aller travailler, quelques femmes prennent leur petit-déjeuner en salle. Les commandes se complexifient :

« - Un café allongé s’il vous plait.

- J’ai déjà du mal à en faire un debout, alors… ».

On me demande des tartines, je ne sais pas où se trouve le beurre, un café crème, je ne sais pas où se trouve le lait, alors je cherche, mais je sens bien que l’on s’impatiente.

J’essaie de rester souriante, mais au fond j’ai envie de pleurer. On me demande un capuccino : c’est une blague ?

Ce matin-là, je n’ai pas joué Cendrillon au grand théâtre de la brasserie, mais la Belle Au Bois Dormant : je me suis réveillée d’un profond sommeil de 20 ans, avec l’étrange impression de n’avoir jamais vu la lumière du jour. Peu à peu j’ai appris à lever la tête et à regarder les gens dans les yeux, j’ai ouvert la bouche pour échanger quelques mots avec eux, et j’ai compris qu’en dépit des difficultés du métier j’allais m’épanouir en tant que jeune femme, et enfin quitter le doux bercement de l’enfance.

A l’heure du déjeuner arrive une seconde serveuse, Morgane, jeune comédienne de vingt ans, qui a l’habitude de travailler dans la restauration. On nous explique qu’on sera toutes les deux chargées de dresser 80 couverts et de faire le service du midi. Je finirai à 15h, puisque j’ai commencé à 7h,  et elle terminera à 20h puisqu’elle a commencé à 11 heures. Marcel, quant à lui, s’occupe des clients qui préfèrent s’attabler au comptoir, tandis que le patron est au bureau de tabac. Tout est très bien organisé, et je termine ma journée de travail le sourire aux lèvres, fière d’avoir enfin mal aux pieds, et aux jambes.  Rester debout 10 heures de suite m’a fait réaliser le privilège des mes années d’étude : je ne pensais pas que ce travail serait aussi physique et aussi épuisant. Mais j’ai aussi pris conscience de ce que m’avait apporté une formation académique telle que celle des classes préparatoires : le goût du travail bien fait.

Demain je travaille toute l’après-midi, et ce jusqu’à 20 heures : à peine ai-je appris à faire des cafés qu’il faudra que j’apprenne à réaliser des cocktails, et à servir des bières ou autres boissons fraiches. J’essaie de me rassurer en me souvenant que la matinée s’est plutôt bien passée malgré mes craintes et que les clients ont été bienveillants à mon égard. Mais Morgane me prévient, en riant : « le matin tu as les lionceaux, ceux qui sont doux comme des agneaux… mais le soir les lions ne sont jamais très loin… ne passe pas derrière le comptoir, même pour un gros pourboire ! ».

Deuxième jour : Parce qu’« Il est poli d’être gai ».

J’ai rêvé toute la nuit que je faisais des cafés,  répétant toujours les mêmes gestes, frénétiquement, angoissée d’entendre les phrases qui m’ont hantée la matinée entière : « une orange pressée, sans glaçons », « une tartine beurrée, avec de la confiture d’abricot s’il vous plait », « et un déca noisette à emporter ». Je me réveille les jambes lourdes, avec une conviction : je ne pourrai plus jamais boire de café de ma vie. Je n’ai jamais vraiment aimé ça, mais l’odeur m’est désormais franchement désagréable ; elle colle à mes cheveux et à mes narines sans que je ne puisse rien y faire. Fort heureusement, je travaille l’après-midi aujourd’hui, et je suis bien disposée à ce que Leffe, Stella, et autres bières, n’aient plus aucun secret pour moi.

Donner les menus, ne pas oublier le sel, le poivre, le pain, la mayonnaise et le Tabasco pour le steak tartare. Débarrasser les assiettes dès que l’entrée est terminée, apporter les plats, puis les desserts. Bref, courir, courir, et courir. Sourire, sourire et sourire. Peu importe la fatigue ou les problèmes personnels, la serveuse porte un masque des heures durant qu’elle n’enlève qu’à la fin de la journée, redevenant alors une anonyme parmi les anonymes. Etre serveuse c’est être quelqu’un, jouer un rôle en somme, et s’oublier dans le souci de l’autre. Après une journée de pratique seulement, je sens mes gestes devenir plus précis, et je m’entends parler plus fort, rire même parfois. J’ai désormais les yeux et les oreilles partout, prête à bondir dès qu’un client m’adresse un regard quelque peu appuyé : « oui, je vous rapporte l’addition tout de suite. » Oui, c’est épuisant. Mais l’adrénaline est là, stimulante.

Derrière mon comptoir, je découvre peu à peu que chaque personne est unique ; je me surprends à imaginer la vie des uns et des autre, à regarder avec envie un jeune couple d’amoureux, et à m’attrister pour celui qui commande des bières dès 8 heures du matin. Je deviens le témoin de « fragments de vie », et la spectatrice d’une relation cachée entre un homme et sa jeune maitresse. Je suis aux premières loges.

J’entends le patron, d’origine serbe, parler des guerres de Yougoslavie, puis Morgane de ses projets au cinéma. J’aime le bruit, ce grouillement incessant de gens qui entrent et qui sortent, un sourire inattendu, une remarque agréable, et même l’impatience agacée de celui qui attend depuis déjà trente minutes son entrecôte grillée.

Et puis il y a les habitués, ceux que je n’ai vu que deux fois mais avec lesquels j’échange déjà des paroles complices : « 4 pintes de bières, comme hier ? ». J’essaie d’anticiper leurs attentes en me remémorant leurs souhaits de la veille : celui-ci mange sa viande avec de la moutarde, celui-là avec de la sauce béarnaise. Ils apprécient de n’avoir rien à demander, et je sais déjà qu’ils reviendront : l’atmosphère est très conviviale, et j’ai peu à peu l’impression de recevoir tous ces gens chez moi, comme des amis de longue date. Avec mes collègues comme avec les clients, je suis certaine qu’en deux mois des liens vont se tisser, et que de belles amitiés vont certainement voir le jour. Naïve ? Peut-être. Mais cette expérience me plait déjà parce qu’elle est humaine, pour le meilleur comme pour le pire.

Le pire justement, c’est l’envers du décor. Les travers que connaissent bons nombres de brasseries, dès qu’au bar s’accoudent des personnes fortement alcoolisées. Si le matin le comptoir est aux travailleurs de nuit,  la fin d’après-midi voit paraitre son lot d’alcooliques et de dragueurs invétérés (qui se confondent souvent).

Maryvette, quarante-sept ans, artiste peintre, arrive le plus souvent déjà bien éméchée ; et il n’est pas rare que le patron refuse de lui servir à boire : elle menace alors de « lui assassiner la tête ».  Cette femme au visage ravagé par l’alcool est amoureuse d’un jeune trentenaire qui travaille dans une banque non loin de là et qui a ses habitudes dans cette brasserie. Elle l’attend parfois des heures, et lui fait des déclarations d’amour enflammées. Il la repousse, elle boit.

Et puis il y a un homme dont je ne sais le nom, qui me demande des verres de vin en me jurant que je suis la plus belle femme au monde. Il me le répète sans cesse en m’assurant que si on ne  dit pas assez ce genre de choses aux femmes, elles ont tendance à ne pas y croire.

Toutefois, certaines personnes ont des comportements nettement moins amusants, voire même inquiétants,  lorsque le délire se mêle à l’alcool. Ainsi cet individu aux yeux bleus perçants qui me fixait pendant de longues minutes, avant de me crier dans les oreilles qu’il y a bien longtemps j’étais « princesse de l’empire Austro-Hongrois ! » ; puis, s’adressant à Morgane : « Vous, vous étiez prostituée dans un bordel mal fréquenté ! ».

Enfin, il y a les naïfs, ceux qui confondent « serveuse » et « fille facile » et vous font des clins d’œil en espérant que cela suffise à vous séduire. Ceux qui utilisent de subtils langages cryptés en essayant de plonger leurs yeux dans les vôtres : « Mmm, mademoiselle, vraiment, il était déli-ci-eux votre café… Je reviendrai… pour le café… ». André Breton n’a-t-il pas dit, au sujet de la poésie, que « les mots font l’amour » ?

Hélas, n’est pas poète qui veut.

Et puis il y a les « gros lourds », tout simplement, qui insistent pour avoir votre numéro de téléphone, qu’ils n’auront jamais, et finissent par vous dire : « je vois que vous êtes occupée, je retenterai ma chance demain. »

Mais celui qui ne dit rien est celui-là même qui capte toute votre attention. Il vous regarde discrètement, et respectueusement, sans oser vous interrompre dans votre travail. Celui-là se fait remarquer par sa retenue, et par sa finesse. Il vous pose quelques questions, pour vous faire part de son intérêt,  mais ose à peine vous déranger.

Je sais qu’il sera là demain.

Troisième jour : Fidéliser la clientèle.

7 heures 30 : il est là. Le patron m’assure qu’en trois ans ce client régulier, qui est aussi son ami, n’est jamais venu le matin.

11 heures : Morgane s’est faite livrer un très joli bouquet de pivoines. Une carte anonyme. Un mot : « parce que vous êtes sublime. »


Dans la tête d’un chasseur de têtes

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Club des chasseurs de têtes - réunion mensuelle

Far West, 1866.  William Frederick Cody affronte en duel Bill Comstock, et tire 69 bisons en une seule journée. Son adversaire en abat seulement 48. Cody, devient Bill, Buffalo Bill. Le chasseur au cheval blanc vient de devenir une figure phare de la conquête de l’Ouest.

En 1881, au Nouveau-Mexique, Billy The Kid se fait tuer par un chasseur de primes du nom de Pat Garrett. La récompense de 500 dollars ne sera jamais accordée à ce dernier, en raison d’un doute sur l’identité du cadavre.

Ces deux figures de chasseurs célèbres ont alimenté notre imaginaire collectif, et dessiné le mythe de l’as de la gâchette, l’homme qui tire plus vite que son ombre.

Près d’un siècle et demi plus tard, une nouvelle race de chasseur s’est fondue dans le paysage urbain. Loin des forêts ou des déserts du grand Ouest, loin des cabanes en bois et des saloons, c’est à Paris, dans un grand hôtel de Montparnasse, que se tient la réunion mensuelle du Club des chasseurs de têtes. Les chasseurs ont troqué leurs bottes en caoutchouc contre des richelieus vernies, et leurs pistolets contre des stylos plume. Leur gibier, des candidats pour le compte de grandes entreprises.

Un chasseur sachant chasser doit savoir…

Se méfier des lapins.

La période de guerre économique qui se dessine dans le milieu du recrutement arme les candidats face aux propositions alléchantes que peuvent leur faire les chasseurs de têtes : « La guerre c’est comme la chasse, mais à la guerre le lapin tire. » disait De Gaulle.

Le secteur est en crise : Tandis que le chiffre d’affaire des cabinets de recrutement avait progressé de plus de 20% en 2006 et en 2007, l’année 2009 a marqué un tournant dans la profession. Le géant Michael Page a ainsi vu son chiffre d’affaire baisser de 26% entre 2008 et 2009. De fait, si la situation s’est quelque peu redressée à partir de 2010, de nombreux cabinets ont disparu du marché, et les chasseurs encore en poste doivent désormais faire face à de nouvelles difficultés. Là où ils avaient traditionnellement les moyens d’être très persuasifs auprès des candidats, les dénicheurs de talent n’ont plus tellement de marge de manœuvre quant aux propositions qu’ils peuvent leur faire : les clients qui les mandatent sont eux-mêmes en quête d’économies.

C’est ainsi que les lapins rechignent à quitter leur confortable terrier par les temps qui courent, refusant de renoncer à la stabilité de leur statut pour une augmentation de salaire dérisoire.

 Partir à la chasse sans perdre sa place

Conséquence directe de la conjoncture actuelle, l’ascension fulgurante des réseaux sociaux professionnels favorise les recrutements en interne, l’entreprise se chargeant alors elle même de trouver les profils qui lui conviennent. L’accès aux CV de millions de candidats en un simple clic fait donc craindre un avenir morose pour des cabinets dont le vivier de candidats potentiels, si fourni soit-il, ne peut  concurrencer les 175 millions de membres que compte LinkedIn ou encore Viadeo et ses 45 millions d’utilisateurs. De plus, les index de recherche de ces sites sont de plus en plus précis, de telle sorte que le client peut trouver lui même le profil qu’il recherche.

Ainsi, face au développement des nouvelles technologies, il faut impérativement que les cabinets puissent conserver leur réputation « haut de gamme » et innover dans les secteurs où le web ne pourra jamais remplacer un regard humain. Plus concrètement, le gibier ne saurait se satisfaire de considérations d’ordre pécuniaire dans le contexte actuel : il s’agit donc « de prendre en compte la psychologie de la personne, tout une série d’aspects sociologiques, culturels, voire anthropologiques pour trouver « ce qui la fait courir. » » confie ainsi Jean-Philippe Tran, un des administrateurs du Club des Chasseurs de têtes.

Cette exigence d’un service personnalisé, cet art du « sur-mesure » représente donc un défi majeur pour la profession, sans quoi elle ne peut que s’enliser dans la crise. De fait, le chasseur se doit de rassurer clients et candidats… car lui seul sait courir plusieurs lièvres à la fois.

Etre vieux, c’est être seul ?

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Des personnes âgées étaient assises en cercle autour d’un poste de radio. Un oiseau en cage dormait sur le côté, près du bureau du directeur. Et une table ronde, sur laquelle gisaient les journaux de la veille, faisait office de salle d’attente pour les visiteurs. Cinquante-sept résidents. Un salon bibliothèque. Une salle de télévision. Et puis le silence comme fidèle compagnon de chambrée. Rencontre avec un retraité que la vie a condamné à vivre seul.

Trop jeune pour être vieux.

Alain Prieur, soixante-cinq ans.

Il s’appelle Alain Prieur. Ce retraité de l’éducation nationale a commencé sa carrière comme surveillant dans un collège. Pas par choix, mais par obligation : « Dans les années soixante-dix j’ai connu une femme à qui j’ai fait un enfant. J’ai dû trouver un emploi rapidement, et mon père m’a trouvé ce boulot, que j’ai accepté sans grande conviction. Mais comme c’était pour elle, j’aurais pu accepter n’importe quoi. » Une vie à deux, puis à trois, qu’il voulait assumer. En fondant une famille,  il avait l’assurance d’être entouré et aimé, et de ne jamais plus connaître la solitude ; cette solitude qu’il avait combattu jusqu’alors par la consommation de psychotropes :

« On prenait du LSD ma femme et moi, et quand notre fille est née ça ne s’est pas arrêté, loin de là. » A la misère sociale s’est ajoutée la misère psychologique, une forme de descente aux enfers qui a eu finalement raison de leur couple : « Un an plus tard, elle m’a trompé, et elle est partie. Elle est partie avec ma fille, comme ça. Et moi, je me suis réfugié lâchement dans mon addiction. » Cette période noire est à l’origine de ses problèmes de santé, de ceux là même qui l’ont conduit à devoir vivre aux «Intemporelles», un établissement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

 Dépendant, à soixante-cinq ans.

Sa famille s’est évanouie en une année. Sa fille, il l’a revue à l’âge de neuf ans pour la première fois. Les longues années de dépression pendant lesquelles il tentait de s’en sortir lui ont vu refuser les droits de visite qu’il demandait, jusqu’à ce qu’il soit reconnu « moins malade » par la juge aux affaires familiales : « c’était déjà trop tard ; elle était ma fille mais je n’étais pas vraiment son père. » Les visites, d’abord régulières, se sont espacées. La drogue, amie de longue date, revenait alors le saluer périodiquement, et avec elle la folie suicidaire.

Le reste du temps il travaillait, comme tout le monde. A la « Maison Des Examens » d’abord, puis au CLEMI, le centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information : « j’ai beaucoup aimé pouvoir répondre au téléphone, c’était toujours différent, et puis on devait organiser des évènements alors je rencontrais des gens. J’étais bien là-bas, et je parlais même avec des personnalités de la télé parfois!» me confie-t-il en souriant.

Et puis la retraite : le retour du vide. Il revoit sa fille en 2009 ; ce sera la dernière fois. 

Alain m’avoue qu’il ne voulait pas vivre en maison de retraite, mais que la juge des tutelles ne lui a pas vraiment laissé le choix ; finalement il ne regrette pas : « avant j’étais hospitalisé à Saint-Anne tous les trois mois à cause de mes problèmes psychiatriques, mais aujourd’hui ça va beaucoup mieux. Demain je dois fêter mes vingt et un mois sans hospitalisation ». C’est avec une certaine fierté qu’il m’explique qu’il a enfin le sentiment d’avoir vaincu ses démons. Le combat est quotidien, mais il va continuer à se battre jusqu’au bout : « J’ai failli y passer plein de fois, j’ai frôlé la mort à de nombreuses reprises, alors pour moi c’est du rab ; comme si la vie me donnait une seconde chance. » Son optimisme est assommant.

La solitude ne l’a pourtant pas quitté, mais s’il la subit encore, il la supporte mieux : « on est tous très différents ici, et beaucoup de gens ont des problèmes. Je suis plutôt jeune par rapport à la moyenne des retraités, et je n’arrive pas vraiment à tisser de liens. Pendant le dîner on mange les uns en face des autres, mais on ne se parle pas. Et puis il y a les groupes de ceux qui se ressemblent et s’entendent bien. Mais moi je suis seul. Heureusement, je vois Isabelle trois fois par semaine, la psychologue. Elle est très gentille. »

Pour seule et unique visite Alain reçoit une ou deux fois par semaine son frère. Ce dernier lui a d’ailleurs offert une très jolie guitare dont il ne joue pas souvent. Il aime chanter pourtant, et se réjouit lorsque la maison leur propose de participer à l’activité « chorale » : « j’adore chanter Hugues Aufray, Santiano tout ça. » Il regrette toutefois l’absence de « parité » quant aux activités proposées pour les retraités : « Y en a que pour les femmes ! Elles peuvent faire du tricot, des activités manuelles, mais nous, les hommes, on ne fait rien. »

L’atmosphère est détendue, presqu’intime, et l’homme me révèle alors un de ses rêves les plus fous : connaître l’amour à nouveau, et finir ses vieux jours dans les bras d’une femme. L’espoir a remplacé ses vieilles addictions. Il ne voit plus la solitude comme une fatalité mais a appris à vivre avec, car elle seule lui a toujours été fidèle.

 

 

Vue d’Algérie par un expatrié Français

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Philippe Nguyen compte parmi les 28000 expatriés Français d’Algérie. Il s’y est installé il y a 6 ans et n’est jamais reparti. Analyse.

Philippe Nguyen et son équipe (Alger)

Réussir en Algérie, c’est possible !

Diplômé de l’ Ecole Supérieure Internationale de Commerce et d’une spécialisation en informatique, Philippe n’aurait certainement eu aucun mal à trouver un premier emploi en France. Le secteur informatique, qui, selon une enquête de Pôle emploi, propose plus de 40000 projets de recrutement par an, peine en effet à trouver des ingénieurs ou des techniciens sur le territoire national. Pourtant, c’est bien en Algérie que Philippe Nguyen a démarré  sa carrière, dans le cadre d’un VIE (volontariat international en entreprise) pour valider son diplôme : « Après quelques entretiens, j’ai finalement réussi à obtenir deux propositions dont une en Allemagne et une autre en Algérie. J’ai finalement opté pour l’Algérie car la mission proposée fut nettement plus intéressante et adéquate vis-à-vis de mon cursus et mon projet professionnel: promouvoir et commercialiser une solution technique de géolocalisation sur tout le territoire national ». Un an plus tard, Philippe rencontre son futur employeur, qui souhaite lancer une SSII en Algérie spécialisée dans  l’Infrastructure Management et le support aux utilisateurs. Il est recruté 5 mois plus tard en tant que responsable commercial pour lancer la filiale. Aujourd’hui, à 32 ans, il est Directeur Général de l’entreprise, et compte parmi ses clients de grandes entreprises françaises (LAFARGE, SANOFI,…) installées en Algérie.

Une maitrise des codes nécessaire.

Sa carrière en Algérie , il la doit d’abord au système VIE, instauré par la loi du 14 mars 2000, et qui permet aux entreprises françaises de confier à un jeune de moins de 28 ans une mission professionnelle à l’étranger durant une période modulable de six mois à deux ans. Ainsi, Philippe, qui a par ailleurs été nommé en octobre dernier « Responsable du Club VIE en Algérie », affirme que ce système constitue « un vrai tremplin vers une carrière à l’internationale ». Désormais, il aide les jeunes français qui veulent s’installer là-bas , conscient que ce pays représente une opportunité pour eux : « En 6 ans, j’ai vu le paysage clairement changé. Ça n’arrête pas de construire : des bâtiments, des logements, des monuments, des autoroutes, etc. Il y a clairement du business en Algérie à celui qui sait s’y prendre»  Savoir s’y prendre, c’est à dire connaître les codes d’un pays jeune (+de 60% de la population a moins de 30 ans), riche (notamment en hydrocarbures), mais aussi ralenti par sa bureaucratie : « l’Algérie, malgré le gros potentiel qu’il représente, reste un pays difficile d’accès pour les investisseurs étrangers par ses lois protectionnistes, son administration et les délais de paiement. »

 Quel avenir pour la France en Algérie ?

Le protectionnisme algérien est matérialisé par la loi de finance des « 51/49 » qui régit l’investissement étranger. Selon cette dernière, 51 % du capital de la société algéro-étrangère doit être détenu par la partie algérienne afin de préserver et favoriser les investisseurs nationaux. Cela ralentit nécessairement les Investissements Directs Etrangers. Cependant, comme l’indique Philippe, l’Algérie reste un « gros client », et attire bon nombre d’entreprises étrangères, là où précisément la France perd des parts de marché : « Les chinois, américains, et autres européens sont présents en Algérie. A titre d’exemple, la Grande Mosquée d’Alger a été gagnée par des chinois pour un chiffre d’affaires supérieur au milliard d’euros » note-t-il. Une réalisation titanesque qui a été confiée à la société China State Construction Engineering Corporation (CSCEC)  et qui emploiera 10000 ouvriers chinois, ce qui n’a pas manqué de faire polémique dans un pays où le taux de chômage dépasse 10%. Ainsi, la France, qui tenait jusqu’alors une position de leader dans le pays, est concurrencée depuis 2001 par l’apparition progressive des pays émergents dans le marché algérien.

Un statut privilégié à entretenir : partenariats économiques et enjeux mémoriels.

La France occupe une place particulière en Algérie. Une réputation d’expertise d’abord, qui ouvre le marché de l’emploi aux expatriés français : « Les postes proposés (…) sont régulièrement des postes d’encadrement ou demandant des compétences spécifiques et non présentes en Algérie. Les expatriés français sont souvent là pour lancer ou recadrer l’activité, former et passer le relais aux algériens. » Toutefois, cette relative dépendance tend à être limitée : « Certains postes de direction ne sont actuellement plus autorisés aux étrangers comme la fonction de Directeur des Ressources Humaines. De plus, le vivier algérien monte en compétences car, de plus en plus d’algériens partent étudier et travailler à l’étranger pour rentrer ensuite au pays et capitaliser leur retour d’expérience. » Ainsi, l’influence française se réduit petit à petit, et les liens entre les deux pays doivent être révisés rapidement si la France veut rester le premier fournisseur de l’Algérie.                                                                                                                                                     Car plus que jamais, les partenariats économiques sont liés aux enjeux mémoriels. Jean-Pierre Raffarin a préparé le terrain fin novembre, afin de faire avancer les dossiers Renault (une usine d’assemblage devrait être installée dans l’ouest du pays) et Total, avant la venue du président Hollande les 19 et 20 décembre prochain, qui devrait quant à lui insister davantage sur le volet politique et les liens d’amitié. Un geste fort quant aux actes commis pendant la colonisation est attendu par le peuple Algérien. «Cette reconnaissance oeuvrerait pour faciliter les relations commerciales entre les deux pays, mais aussi entre les acteurs français et algériens en Algérie» affirme ainsi Philippe Nguyen.

    C’est un fait, « (…) les relations d’affaires en Algérie sont intimement liées au degré de convivialité qui peut s’installer dans les relations «extra-professionnelles». L’affectif est une composante essentielle dans la culture algérienne et les relations d’affaires ne sauraient y déroger. »* Une visite présidentielle très attendue donc, en France comme de l’autre côté de la méditerranée.

 

  

*Rapport Ubifrance 2012

http://www.bfmtv.com/economie/france-algerie-perspectives-entreprises-tricolores-408062.html

“Le concept de ‘Génération Y’ dessert les jeunes dans le monde du travail”

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Selon les derniers chiffres de l’Insee, plus d’un quart des jeunes actifs seraient au chômage en France. Ces derniers peinent à accéder au marché de l’emploi, et ce, pour plusieurs raisons : manque d’expérience pour les uns, de qualification pour les autres, les emplois “précaires” sont le lot de la dite “génération Y”. De fait, le concept même de “génération Y” est de plus en plus décrié.

Génération Y, une aubaine pour l’entreprise ?

On la décrit comme une “chance” pour les entreprises : la génération Y, c’est d’abord la génération qui succède à la génération X. A la différence de leurs aînés, les 18-30 ans sacrifieraient du temps de télévision pour créer des blogs ou partager leurs idées sur les réseaux sociaux. Ils maîtriseraient l’outil-ordinateur avec une facilité déconcertante, et considéreraient le Net comme leur milieu naturel. En somme, les jeunes seraient “en phase avec leur époque”, hyperconnectés, et hyperactifs sur Facebook et Twitter. A l’heure du Web 2.0, les superlatifs ne manquent donc pas pour qualifier la génération des “digital natives” (“natifs numériques”).

Ce discours est notamment celui de “consultants en management” qui ont fait de la génération Y leur domaine d’expertise. Pour ces derniers, le management générationnel est une nécessité en entreprise, comme l’affirme Daniel Ollivier, consultant et coauteur de Génération Y mode d’emploi : “Le manager (…) doit prendre en considération qu’il est face à des gens qui sont individualistes, infidèles, impatients, mais aussi que (…) ces jeunes, aujourd’hui, savent travailler spontanément en réseau ; ils sont pragmatiques, ils maîtrisent les nouvelles technologies et ils ont confiance en eux.”

L’aspect générationnel serait donc le moteur de grands changements à venir dans la gestion des ressources humaines ; la contribution des managers se doit désormais d’être personnalisée et individualisée, afin de faciliter le métissage intergénérationnel… un atout pour l’entreprise.

“La génération Y n’existe pas”

Cependant, pour le sociologue Jean Pralong, expert reconnu de la génération Y et auteur d’une étude comparative entre les différentes générations au travail*,  la “génération Y” est avant tout le fruit d’un coup marketing des consultants. “Aucune étude scientifique ne permet de dire que la génération Y est 'différente' de la génération précédente. On ne peut pas dire aujourd’hui que la technologie soit un signe distinctif entre les différentes générations ; la population française ne se lit pas en termes de 'génération', mais en termes de 'classes sociales'”.

En effet, si de nombreux jeunes savent utiliser Internet, seuls très peu d’entre eux maîtrisent réellement l’ordinateur en tant qu’outil. A en croire le spécialiste du multimédia Jean-Noël Lafargue, on peut même aller jusqu’à affirmer que les jeunes ne seraient “pas plus armés que la génération d’avant, voire moins que les trentenaires ou quarantenaires intéressés par l’informatique”. La génération Y serait donc un mythe : elle n’existe pas.

Pour le sociologue, nous serions pourtant formatés pour y croire : “Depuis la fin du XVIIIe siècle, la jeunesse est vue comme un pan social répondant à des constantes bien définies : la capacité à l’innovation, l’insoumission, ou encore le nomadisme.” Déjà, dans les années 1960, Gaston Lagaffe est un technophile averti, un esprit scientifique qui retape sa voiture lui-même, mais qui se nourrit d’aliments en conserves, selon le stéréotype du jeune “cool et créatif, mais paresseux”. Plus tard, dans les années 1980, ce leitmotiv revient en force, quand le journaliste Louis Pauwels décrit la jeunesse comme atteinte d’un “sida mental” ; elle se plairait alors à “végéter tièdement” et refuserait l’ordre et l’autorité. Le concept de “génération” est donc très ancré dans les esprits, même s’il n’a pas de réelle valeur scientifique.

Une invention de la génération X

Néanmoins, cette idée serait aujourd’hui utilisée dans le monde du travail par ceux qui ont tout intérêt à voir perdurer ces croyances : les managers de la génération X. Selon Jean Pralong, ils auraient créé la génération Y pour s’émanciper à leur tour du contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques. De fait, il n’y aurait pas de réelle différence entre les 30-50 ans et les 18-30 ans, si ce n’est celle du statut. Face à ces jeunes qui “osent” utiliser Facebook au travail, les managers se retrouvent bien souvent démunis : ils sont partagés entre leur “bon sens”, qui les pousse à faire évoluer les règles de l’entreprise, et les codes de gestion auxquels ils sont eux-mêmes soumis. “Ils sont contrôlés par le fait même d’avoir été hyper-responsabilisés par leur direction : ils sont libres, mais doivent rendre des comptes. Les consultants se sont donc servis de ces questionnements pour créer un business fructueux autour de la question.”  

La génération Y serait donc un alibi pour les individus “hypercontrôlés” de la génération X, qui espèrent ainsi obtenir des réponses de la part de leur direction générale sur leurs propres interrogations ; si les jeunes “Y” acquièrent plus de libertés, ils en profiteront aussi.

Et les jeunes dans tout ça ?

Les jeunes semblent ainsi paradoxalement étrangers au débat : sur le réseau Viadeo, le groupe “Génération Y mode d’emploi”, lancé par Daniel Ollivier, compte ainsi parmi son millier de membres beaucoup de “consultants  X”, mais très peu de “jeunes Y”.

C’est que les premières victimes de l’appellation “Y”  sont finalement les jeunes eux-mêmes, qui n’ont plutôt pas intérêt à se comporter en “génération Y” pour trouver un emploi : si le discours change, les règles, elles, ne changent pas.

McDonald’s a d’ailleurs très bien compris le pouvoir marketing de ces représentations en choisissant le slogan “Venez comme vous êtes” dans ses campagnes publicitaires. Malgré tout, comme le souligne le sociologue, “la théorie de la génération Y dessert les jeunes plus qu’elle ne les sert en leur faisant croire que le marché du travail les convoite pour ce qu’ils sont. Or, structurellement, ce pays n’a pas fait le choix de cette génération là.” En somme, les changements surviendront d’eux-mêmes avec le départ à la retraite des baby-boomers, mais certainement pas grâce aux théories générationnelles.

* "L'image du travail selon la génération Y", Revue internationale de psychologie, 2010.

 

Le Cytotec : vers un nouveau scandale médicamenteux?

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Après le scandale de Diane 35, le médicament contre l’acné employé comme contraceptif, le Cytotec, un antiulcéreux utilisé pour déclencher le travail sur enfant viable, est à son tour examiné de près par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament), qui vient d'ailleurs de publier une mise en garde sur les risques potentiels liés à son utilisation.

 

Un médicament utilisé pour ses effets secondaires

Le Cytotec (ou misoprostol) est un médicament ayant reçu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement des ulcères d’estomac. Il est pourtant utilisé majoritairement pour ses effets secondaires, et notamment celui de pouvoir provoquer des fausses-couches. La notice indique de ne “jamais prendre du Cytotec au cours de la grossesse” ; une contre-indication détournée, puisqu’en dépit de l’avertissement de son fabricant (Pfizer), le misoprostol est utilisé dans certaines maternités pour provoquer l'accouchement.

Les prescriptions hors AMM sont généralement légales, et même très fréquentes, mais elles engagent la responsabilité du médecin prescripteur, qui doit informer le patient des risques encourus et des alternatives existantes au médicament (loi Kouchner, 2002). Cependant, depuis la réforme du médicament de 2011, le prescripteur d'un médicament doit faire la preuve qu'il a informé le patient de l'absence d'alternative médicamenteuse, ainsi que des risques. Or, il existe des alternatives au Cytotec, en gel ou en tampon.

Dans le cas du Cytotec, son utilisation off-label (hors AMM) n’est pas contestée dans le cadre d’avortements ou de fausses-couches, mais fait tout de même débat quant à son emploi pour le déclenchement du travail. En effet, dès 2008, la HAS (Haute autorité de santé) recommande de ne pas l’utiliser en obstétrique, arguant du fait que “son innocuité n’a pas été suffisamment évaluée” et que son usage devrait donc être limité “à des études randomisées”.

Or, les quelques études réalisées (majoritairement aux Etats-Unis) montrent que ce médicament augmente l’hypercinésie utérine, c’est à dire le nombre et l’amplitude des contractions. Une hyperstimulation qui n’est pas sans risques, comme en témoignent ces femmes qui ont accouché sous Cytotec et qui dénoncent aujourd’hui la dangerosité de ce médicament. Elles ont créé une association, Timéo et les autres, qui milite pour la reconnaissance des risques du misoprostol.

Timéo et les autres, une association de soutien aux victimes du Cytotec

Aurélie Joux et Anne Loirette dénoncent l’utilisation "abusive" du Cytotec en obstétrique. Après avoir vécu l’une et l’autre un accouchement difficile, elles ont donc décidé de s’unir pour fonder une association, afin d’informer notamment les futurs parents des dangers du médicament.

Anne a vu son accouchement tourner au cauchemar après qu’on lui a administré un comprimé de Cytotec par voie vaginale : “Les comprimés sont dosés à 200 microgrammes, mais comme ils ne sont pas prévus pour cet usage, la pharmacie de l’hôpital doit les couper en quatre pour obtenir la dose de 50 microgrammes indiquée dans le protocole ; c’est très artisanal !” Un dosage apparemment trop élevé, puisque les contractions deviennent très vite insoutenables, et de plus en plus rapprochées ; la douleur est insupportable, et la péridurale se diffuse mal à gauche. Lorsque le col est ouvert à deux doigts, la sage femme lui propose donc d’accélérer le processus : "On m’a laissé le choix entre une perfusion d’ocytocine et la rupture de la poche des eaux. Comme j’avais fait un projet de naissance sans ocytocine (qui augmente les risques de césarienne), j’ai opté pour la rupture artificielle.” Le bébé, qui était auparavant protégé dans la poche des eaux, se retrouve donc rapidement comprimé par des contractions trop longues ; c’est l’hypertonie utérine. Le rythme cardiaque du fœtus est anormalement bas : l'enfant reste en état de bradycardie (rythme cardiaque trop bas) pendant plus de vingt minutes, l'obstétricien décide de le délivrer par césarienne. Il survivra, sans séquelle.

Aurélie, quant à elle, n’aura pas cette chance. Lorsqu’on lui administre le Cytotec, c’est sans même lui mentionner le nom du médicament ni la prévenir des risques, comme pour Anne. Elle connaît, elle aussi, des contractions “incessantes”, mais s’inquiète lorsqu’elle réalise que la péridurale ne la soulage pas. On lui injecte un antidouleur, mais rien n’y fait : “Plusieurs fois, je leur ai hurlé de m’ouvrir le ventre et de faire sortir mon bébé”, déclare-t-elle. L’obstétricien s’aperçoit finalement que le rythme du cœur du fœtus est en train de diminuer. L’enfant sort finalement par voie basse, mais à l’aide d’une ventouse : “Il était en état de mort apparente, on a dû le transférer des Yvelines à un Institut de puériculture de Paris.” Trois heures après l’accouchement, Aurélie ressent encore de très vives douleurs dans le ventre. On lui fait une échographie : son utérus s’est déchiré. Aujourd’hui, elle est en CRCI (commission régionale d'indemnisation) : “Mon fils, Timéo, est handicapé moteur et je ne peux plus avoir d’enfant.”

Pour les deux femmes, l’interdiction d’utiliser le Cytotec pour le déclenchement du travail sur enfant viable est une nécessité. Elles savent qu’il existe des alternatives moins dangereuses, et qui ont une autorisation de mise sur le marché pour cet emploi. Pourtant, “dans certaines maternités, les femmes qui refusent le Cytotec et demandent une alternative sont appelées à changer d’hôpital ; on leur dit : 'C’est ça ou rien'”, affirment-elles, témoignages à l’appui.

Puisqu’il existe des alternatives, pourquoi le Cytotec ?

D’après le Dr Bruno Carbonne, responsable de l’unité obstétrique de l’hôpital Trousseau, on peut limiter les risques du Cytotec en suivant un protocole très strict : “Avec un dosage à 25 microgrammes, le rapport bénéfice/risque est assez similaire à celui des autres produits utilisés pour le déclenchement et qui ont l’AMM.” Mais il nuance : “Le problème, c’est que l’utilisation de ce produit est assez répandue, tandis que les dosages ne sont pas réglementés ; un comprimé de Cytotec, c’est huit fois la dose nécessaire pour déclencher un accouchement. Il faudrait donc découper en huit le comprimé, ce qui est insensé. Le surdosage est donc la règle.”  De fait, rien ne justifie ce “bricolage”, puisque pour déclencher l’accouchement sur un col défavorable, il existe des alternatives qui ont, elles, été conçues et testées spécifiquement pour cet usage, comme le Propess ou le Prépidil.

Pour lui, le seul intérêt du misoprostol réellement indiscutable tient avant tout à la réduction du délai entre le début du travail et l’accouchement. Mais cela n’est pas une raison suffisante pour utiliser ce médicament. Dans un article publié en 1999, il affirme ainsi : “Les quelques heures gagnées sur le travail autorisent-elles à ignorer les effets délétères sur le fœtus (augmentation des hypertonies utérines (…)) démontrés par les études suffisamment puissantes ?”

Toutefois, en dépit des risques unanimement reconnus par les obstétriciens, beaucoup d’entre eux continuent à l’utiliser, à l’image du gynécologue P.Rozenberg du CHI de Poissy : “Le raccourcissement significatif du délai séparant l’induction du travail de l’accouchement (…) associé à une réduction des coûts de santé (liée non seulement au coût modique du misoprostol, mais probablement aussi à la réduction des délais d’hospitalisation antepartum) justifient l’introduction du misoprostol en pratique clinique.”

Le Cytotec coute beaucoup moins cher que les alternatives existantes, précisément parce qu’il n’a pas l’autorisation de mise sur le marché pour le déclenchement de l’accouchement : des expérimentations du médicament sur des femmes enceintes augmenteraient donc le prix de ce dernier.

Les femmes de l’association Timeo et les Autres souhaitent quant à elles que les parturientes puissent être suffisamment informées des risques pour avoir le choix : “C’est notre vie, c’est notre corps, c’est à nous de décider. Les considérations économiques ne doivent en aucun cas primer sur la sécurité des mères et de leur bébé.” Une pétition devrait être lancée dans les prochains mois pour que la réforme du médicament de décembre 2011 soit enfin respectée et que le Cytotec soit donc définitivement interdit pour les déclenchements, en l'absence d'AMM.

Comment l’Eglise de Scientologie fidélise les jeunes.

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 En 1948, la « République des Jeunes », un mouvement issu de la résistance, créait les premières MJC (Maisons des Jeunes et de la Culture). Ces structures associatives devaient permettre le renforcement du lien social entre les jeunes par l’entremise d’activités culturelles. Un rôle que s’attribue désormais l’Eglise de Scientologie, qui, fort de son statut d’Association Spirituelle,  propose à ces derniers un encadrement socio-culturel et spirituel. Sous la bannière humaniste se cache cependant une stratégie marketing bien rodée à l’égard des jeunes, cible privilégiée de l’Eglise. En les intégrant dans sa structure par le biais du travail bénévole, la scientologie profite des retombées de la crise économique actuelle pour les placer en situation de dépendance.

Scène ouverte dans le Théâtre de l'Eglise de Scientologie

« J’ai tout juste le bac et déjà on me fait confiance »

 Julie a 19 ans. Elle travaille comme bénévole au « Celebrity Centre » de la rue Legendre, dans l’Eglise de Scientologie de Paris. Derrière la grande vitrine où sont exposés les ouvrages du fondateur de l’Eglise, elle est en charge de l’accueil des visiteurs et des adhérents mais aussi du standard téléphonique. Un poste à responsabilité qui lui permet de se sentir utile : « Je viens le plus souvent possible, en général six jours sur sept, pour aider. C’est un peu une deuxième famille pour moi ; ma mère est d’ailleurs elle-même scientologue. » La jeune femme, visiblement épanouie, explique qu’elle a trouvé dans l’Eglise son « école » : « J’ai tout juste le bac et déjà on me fait confiance, on me donne ma chance ; j’ai appris à croire en moi, à acquérir des connaissances par moi-même. Grâce à la Scientologie, je m’améliore. »

« S’améliorer ».

Le terme revient en boucle dans le discours des scientologues pour démontrer l’efficacité d’une « religion » qui a pour credo : « Une chose n’est vraie que si elle est vraie pour soi ». Les scientologues n’ont donc de cesse de démontrer que « ça marche », sur un mode souvent publicitaire. Une stratégie à laquelle sont sensibles de nombreux jeunes, à l’image de Gary, scientologue depuis deux ans : « Je connais un jeune qui ne parlait pas à grand monde, un peu retiré vis à vis des autres. Puis au fur et à mesure qu’il fait quelques cours de Scientologie, je vois un vrai changement : il est devenu beaucoup plus extraverti. » En effet, l’Eglise édite des « cahiers d’exercice » pour résoudre ses problèmes de couple, ou encore vaincre sa timidité : c’est ce qu’on appelle l’entrainement. S’ajoute à cela l’audition, version scientologique de la psychanalyse.

 A 21 ans, il est responsable du Théâtre du Celebrity Centre. 

Par ailleurs, elle donne aux jeunes la possibilité de laisser s’exprimer leur talent artistique, comme l’affirme le jeune homme: « En arrivant rue Legendre j’ai découvert exactement l’inverse de ce qu’on pouvait entendre au sujet de la Scientologie dans les médias. J’y ai rencontré des gens super sympas avec qui on peut discuter des choses de la vie quotidienne. Très surpris aussi par la présence d’un Théâtre dans une Eglise… En tant qu’artiste cela m’a vraiment plu. J’y ai fait des scènes ouvertes les mardis soirs pour partager mon talent avec d’autres. C’était vraiment sympa et super convivial ! » Des scènes ouvertes, appelées « Open Mic » dans lesquelles des artistes en herbe peuvent se produire gratuitement, après une simple inscription. Pour Gary, cette opportunité a été décisive puisqu’il est, à tout juste 21 ans, responsable du Théâtre du Celebrity Center.

Accueil du Celebrity Centre

« Donner l’impression aux jeunes qu’ils ont du pouvoir : une stratégie de l’Eglise. »

 D'après l’ex-scientologue Roger Gonnet, qui fut cadre de l’Eglise pendant huit ans,  responsabiliser les jeunes est une stratégie classique de la Scientologie : « Les jeunes ont ainsi l’impression qu’ils ont du pouvoir, et comme ils ont généralement du temps ils peuvent s’engager pleinement (et gratuitement) pour l’Eglise. Plus tôt le jeune est « fidélisé » à la secte, plus il aura du mal à sortir de la structure, d’autant qu’il n’a généralement pas de diplôme du supérieur ni de formation professionnelle. De plus, il est indéniable que les jeunes constituent d’excellents ambassadeurs pour le recrutement de nouveaux adeptes. » Dans les DVD que l’Eglise fait visionner aux « visiteurs » les jeunes sont en effet « surreprésentés », témoignant notamment d’une amélioration de leurs résultats scolaires grâce aux connaissances fournies par l’Eglise ; il sont également au cœur de la campagne « anti-drogue » menée par la secte depuis quelques années, en plus d’être très présents au sein de son personnel « visible ».

« Le jeune est habitué aujourd’hui au dressage commercial : (…) Un environnement propice pour les sectes. »

Une vitrine « publicitaire » qui est conçue pour séduire les moins de 30 ans si l’on en croit l’analyse du sociologue et politologue Paul Ariès: « le jeune est habitué aujourd’hui au dressage commercial. Ses grands-parents portaient des signes religieux, ses parents des signes politiques, lui porte des marques. Ce sont aujourd’hui le marketing et la pub qui font rêver le jeune (…) Tout cela crée un environnement propice pour les sectes. »  De fait, parce que s’ajoute à la précarité, au chômage et à la perte de sens une perte de repères culturels, les jeunes seraient désormais particulièrement faciles à instrumentaliser. Une idée que confirme Roger Gonnet, pour qui la Scientologie pourrait se lire comme « le meilleur recueil de mensonges grossiers créé par le meilleur publiciste qui n’ait jamais existé. On promet aux jeunes de développer leurs aptitudes, d’avoir une mémoire exceptionnelle et un Q.I plus élevé, grâce à une méthode pseudo-scientifique, la Dianétique. Du marketing pur et dur. »

Un rempart efficace?

 Ainsi, que l’on considère la Scientologie comme une secte ou une religion, que l’on adhère ou non aux théories de la Dianétique, il semblerait que les jeunes soient aujourd’hui démunis face aux stratégies publicitaires des sectes en général. Pour Paul Ariès, il existerait pourtant un rempart anti-secte efficace : la culture, donc l’école, comme lieu de formation à l’esprit critique.

 

ANTHROPOLOGIE – Le mariage homosexuel n’est pas contre-nature. Le mariage homogame, si.

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C.Boutin - G.Collard ( Manif Pour Tous)

Malgré l'approbation par le Conseil Constitutionnel de l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, le sujet est loin d'être clos : les opposants continuent d'organiser des veillées partout en France, certains maires ont d’ors et déjà annoncé qu’ils refuseront de célébrer des mariages homosexuels dans leur ville, et le projet de loi à venir sur l’ouverture de la P.M.A aux couples de lesbiennes promet bien d’autres remous au sein de la société française.

L'ARGUMENTAIRE DES ANTI-MARIAGE REPOSE SUR "LA NATURE"... 

De fait, si la France est divisée sur la question, c’est que le mariage représente pour une frange de la population le témoin institutionnel d’un fait de nature, c’est-à-dire de la différence sexuée entre les hommes et les femmes. Un repère, comme un des derniers garde-fous face à l’éclatement progressif des structures familiales « traditionnelles ».  En somme, « préserver la famille », selon le schéma mère-père-enfant, reviendrait à « préserver la nature » au sens presqu’écologique du terme. Ainsi, on s’interroge : Comment peut-on placer le désir individuel, le sentiment amoureux qui est par définition instable (puisqu’on peut « ne plus aimer »)  au-dessus d’une vérité bien plus grande que nous, celle du fait naturel de l’engendrement ?  Notons qu’il n’y a rien d’homophobe dans cette position, puisqu’il ne s’agit pas tant de dénoncer l’homosexualité comme orientation sexuelle que de vouloir faire reconnaître à travers le mariage qu’un enfant est nécessairement issu d’un père et d’une mère.

Cependant, d’un point de vue anthropologique, s’il est certes tout à fait vrai qu’un enfant naît naturellement d’un père et d’une mère, le lien entre la parenté et le mariage n’a lui rien de naturel. L’argument de « la nature », pourtant central dans le raisonnement des anti-mariage, ne résiste pas à l’analyse.

... MAIS LE LIEN ENTRE  "MARIAGE" ET "FILIATION" EST ARTIFICIEL. 

       En effet, dans « Les structures élémentaires de la parenté », Claude Levi-Strauss nuance précisément le lien entre « mariage » et « parenté ». C’est que l’homme n’est pas un animal sauvage sur lequel on aurait greffé artificiellement des règles, des lois et des principes pour lui apprendre à se tenir conformément à la nature. Parce qu’il dispose du langage, parce qu’il est par essence cet « animal politique » que décrivait Aristote, vivre en société est son état naturel. La culture est sa nature. 

En somme, affirmer que la valeur du mariage civil réside dans sa conformité aux lois naturelles est davantage symptomatique d’une « peur du déclin » que d’une philanthropie. Ce déclinisme est la marque d’une nostalgie, celle du « c’était mieux avant », celle d’un temps où l’homme et la femme se mariaient « pour avoir des enfants ». Or, s’il est une vérité pour le moins incontestable, c’est que la nature n’attend pas le mariage pour permettre à deux êtres d’enfanter.

Ainsi, la raison d’être du mariage est à chercher ailleurs que dans le principe naturel de la filiation. Selon Claude Levi-Strauss, le mariage est originellement une question « de survie », et donc une question économique. C’est là tout le fondement de sa fameuse « théorie de l’alliance ».

LE MARIAGE, UNE ALLIANCE D'ABORD ECONOMIQUE.

Au fil du temps l’homme a dû affronter les sécheresses, les famines, la privation de nourriture. Le mariage a donc été pensé comme un  « échange réciproque de femmes » pour créer des alliances entre les familles et se partager la nourriture.  Cette circulation des femmes par le mariage est au fondement de nos sociétés, car la femme, étant intimement liée à la nourriture, représentait une valeur marchande au même titre que la viande. Les plus féministes seront certainement scandalisées par ce fonctionnement, et pourtant, le mariage renferme en lui-même l’idée qu’une femme est « plus faible » qu’un homme, et que l’union des deux sera ainsi utile au partage des tâches : la femme est responsable de la cueillette des baies, l’homme part à la chasse, comme le veut le principe de la division du travail… et accessoirement, oui, ils feront des enfants ensemble.

Cette théorie est intéressante car elle repose précisément sur la différence sexuée, le cheval de bataille des anti-mariage. Cependant, c’est précisément parce que la partition des tâches entre les hommes et les femmes n’est plus aussi déterminée (qu’on le veuille ou non, le féminisme a gagné quelques combats), c’est parce que les structures économiques de la société ont évolué, que le mariage peut et doit évoluer. L’échange entre les familles reste nécessaire pour la préservation de nos sociétés, mais il est distinct de l’engendrement.

LES ANTI SE TROMPENT DE CIBLE? 

Par conséquent, à considérer que ce qui est central dans le mariage est la « différence », ce n’est pas tant la différence des sexes qu’il faut protéger que celle des familles. Le plus grand risque, aujourd’hui, quant à l’éclatement de nos sociétés, serait donc peut-être davantage l’homogamie, l’union d’individus d’un même clan, d’un même milieu, en ce que ce phénomène de reproduction sociale, cette tradition de l’« entre soi », est le contraire même de l'échange essentiel et vital que constitue le lien social. L’homogamie, à la différence de l’union homosexuelle, serait donc contre-nature… et pourtant, elle est si peu contestée.


Chante, Moustaki !

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Georges Moustaki. "Ephémère Eternité"

  Il avait choisi d’appeler son dernier ouvrage « Ephémère Eternité »* , « par goût pour le paradoxe et l’oxymore » m'a écrit Georges Moustaki dans nos échanges de courriels du mois d'avril dernier. Avec lui, c’est le dernier témoin d’une génération qui s’éteint, celle des Barbara, des Piaf et des Brassens, celle des grands monstres au panthéon de la chanson française. Celui que Brassens qualifiait de « poète inébranlable » s’est éteint aujourd’hui, épuisé par des années de lutte contre une maladie respiratoire. Il laisse derrière lui un héritage littéraire de taille et une philosophie qui sonne bon la joie de vivre : « Nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer » chantait-il d'ailleurs dans "La Philosophie". 

    Une énergie et un optimisme qui ont traversé les générations. On le pensait oublié des jeunes, et pourtant ! Son talent trouve encore un écho certain, même auprès d’une jeunesse qu’on dit pourtant fâchée avec les chanteurs « à texte ». C'est donc avec plaisir qu'il a accepté de répondre à quelques questions par mail, lucide sur son état : « Je sais qu’il ne me reste pas beaucoup de temps. Je n’ai pas beaucoup d’énergie, donc en ce moment le mail est préférable, je suis trop fatigué pour donner de longues interviews. » me prévenait-il.

Même s’il se savait condamné, l’espoir de recouvrer un jour la santé ne le quittait pas. Il avait foi en la vie, et continuait même à faire quelques projets : «  Ma santé me laisse peu d'énergie pour travailler. J'ai entrepris l'écriture d'un nouveau livre mais il progresse très lentement. Quant aux chansons, je n'ai pas de pulsions précises. Elles traduisent et accompagnent ce que je vis. Or je suis en retrait sinon en retraite et ce n'est pas très stimulant. Je suis content de bavarder avec vous. »

  De cet échange, je retiendrai sa profonde générosité et son unique pouvoir de séduction (oui, même à 79 ans !). Mais je me souviendrai longtemps aussi, bien au-delà de ses récents soucis personnels, de la vivacité de son engagement. Celui qui avait apporté son soutien à Ségolène Royal lors de l’élection présidentielle de 2007 continuait à suivre l’actualité. Son jugement à l’égard de la classe politique était sévère, notamment après les remous de l’affaire Cahuzac : « Le véritable échec des gouvernants politique c'est de ne pas offrir à la jeunesse les possibilités de se réaliser. C'est un potentiel ignoré, maltraité par les dirigeants qui cherchent le pouvoir plutôt que le respect de leurs devoirs. Les affaires nauséabondes ainsi que les attitudes officielles de nos vrp en mission sont à l'opposé de ce que j'attends des responsables d'un pays » me confiait-t-il alors.

  Son espoir se tourne donc désormais tout entier vers la jeunesse de France, lui, l’ex soixante-huitard inspiré : « D'avoir vécu les "événements" de 68 m'a fait ressentir et constater sa force créatrice, son désir d'absolu qui sont les vraies richesses d'une nation. »

Des jeunes qui empruntent désormais les mots de son maître, Georges Brassens, pour lui rendre un dernier hommage :  Il a eu vingt ans tout à l’heure et c’est plus difficile qu’on ne le suppose. Il écrit des chansons entre les lignes. Il aurait pu bâcler des insanités et se faire chanter par la canaille lyrique. Il a choisi les chemins escarpés, les chemins coupés. Il a fait confiance au public. Il aura sa récompense (…) Chante, Moustaki ! (Prologue du livre "Ephémère Eternité")

 

*Ephémère Eternité, Georges Moustaki. Editions Le Cherche Midi, 2013.

 

Qu’est-ce qu’une fiscalité « juste » ? – Pour une philosophie citoyenne de l’impôt

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Selon un sondage BVA paru le 20 septembre dernier, 8 français sur 10 estiment que la fiscalité est « injuste ».

L’impôt sur le revenu semble être devenu le symbole d’une course aveugle à l’égalitarisme : « travailler plus pour payer plus», telle serait la recette pour réduire les inégalités. Cette logique, lorsqu’elle  se banalise et ne semble pas connaître de limite, devient contre-productive ; certains français voient désormais l’impôt comme une « sanction » et s’exilent même fiscalement quand ils le peuvent tandis que la forte progressivité de ce dernier peut décourager l’investissement et le travail de ceux qui restent. Ce système n’est pourtant pas prêt de s’arrêter : Pierre Moscovici l’a confirmé, cette année encore, un million de foyers supplémentaires paieront l’impôt sur le revenu.

Une situation problématique puisque comme le souligne John Witte, un historien de l’impôt sur le revenu, à chaque fois que les taux d’imposition augmentent , de nouvelles niches fiscales sont parallèlement créées pour compenser les effets des taux plus élevés. Ainsi, il conclut : « l’idéologie de l’équité verticale, ou capacité contributive, se heurte à la réalité économique et politique des distorsions économiques et des groupes d’intérêt bien organisés. »

La règle selon laquelle les personnes qui ont des revenus supérieurs à la moyenne devraient avoir à payer des parts plus importantes de leurs revenus en impôt, bien que théoriquement séduisante, ne fait donc plus recette et n’est plus conforme à l’idée que les français se font de la « justice distributive ». Les écarts de richesse se creusent et la réduction des inégalités ne saurait se réaliser par un nivellement par le bas : ce n’est pas en taxant les classes moyennes, en décourageant l’emploi, et en poussant les plus riches à l’exil que la France se portera mieux. Il faut repenser « l’esprit » de l’impôt.

L’impôt « proportionnel » ou « Flat Tax » : la fausse bonne-idée des libéraux.

A l’UMP, Charles Beigbeder semble avoir trouvé la solution. Le 20 septembre dernier, sur le site « LesEchos.fr », l’homme d’affaire et secrétaire national de l’UMP titre: « la proportionnalité de l’impôt, voilà l’avenir ». Une idée d’avenir qui ne date pourtant pas d’aujourd’hui puisque les philosophes de l’antiquité eux-mêmes liaient la justice à l’égalité proportionnelle, dite aussi « géométrique ». Dans le livre VI des « Lois »,  Platon écrit ainsi : « Entre gens « inégaux », l’égalité devient inégalité si la proportion n’est pas gardée ». L’égalitarisme, mène à l’inégalité. Les Anciens l’avaient bien compris. Cette conscience de la différence, repensée du point de vue de l’impôt semble ainsi légitimer la proportionnalité : chacun pourrait payer le même taux, pour tous les niveaux de revenu. Que je gagne 1000 euros ou 5000 euros, je paierai par exemple 10% d’impôts : les rapports de revenus, avant et après impôt restent les mêmes ( dans l'exemple, l'écart de 1 a 5 est respecté).

Cependant,  si ce système est « juste » en théorie, il est trop « simpliste » en pratique : l’égalité est une chose, l’équité en est une autre. En effet, on ne peut appliquer la proportionnalité sans créer un seuil de revenu minimal qui corresponde aux nécessités de la vie : taxer à 10% une famille qui touche moins de 1500 euros par mois n’a pas le même impact que de taxer une famille qui touche 5000 ou 6000 euros, cela va de soi. Certaines familles seront donc nécessairement exonérées de l’impôt ce qui conduirait mécaniquement à surimposer les classes moyennes.

De fait, le juriste Eric Engle dresse une critique de la « Flat Tax » dans son ouvrage « Théorie et Histoire de la fiscalité aux USA » : si, en effet, cette dernière aurait à court terme des effets stimulateurs sur l’économie en attirant notamment des capitaux étrangers, la surimposition des classes moyennes ne peut conduire qu’à un plafonnement de l’exonération. Cette dernière augmenterait le nombre de contribuables et donc  le pourcentage de la population imposée tout en baissant le montant des rentrées fiscales. Cela aurait aussi  pour conséquence d’encourager la fraude. Or, en complexifiant le système d’impôt pour compenser ou limiter les fraudes on annihile le principal bienfait de la Flat Tax qui est sa « simplicité », son coût de recouvrement.  De plus, pour Eric Engle, le risque de transformer les Etats en oligarchies n’est pas exclu, ce qui serait alors tout sauf « juste ».

Il est d’ailleurs étonnant que dans son article, Charles Beigbeder cite en exemple la Russie comme modèle de réussite puisque la Flat Tax, en déséquilibrant les budgets des pays de l’Est qui l’ont appliqué, favorise le creusement des inégalités sociales : en Slovaquie, 9 ans après son introduction, le gouvernement a ainsi décidé, devant le creusement des inégalités sociales, de mettre fin à son taux unique de 19% en 2012 . Enfin, en Russie, les dépenses d’éducation, de santé et de logement sont en berne : le budget alloué à l’éducation est passé de 1% à 0,7% du PIB entre 2012 et 2014, tandis qu’en France il compte pour 7% du PIB et est en constante augmentation. La protection sociale à la française, conséquence heureuse d’un système d’imposition contraignant, n’est pas sacrifiable sur l’autel du libéralisme.

« L’impôt c’est avant tout la solidarité »

   Pour Jacques Le Cacheux, directeur du département des études de l’Observatoire Français de Conjoncture Economique (OFCE), il faudrait pouvoir dégager une philosophie citoyenne de l’impôt. Si la première fonction de l’impôt est de procurer des ressources à l’Etat, il ne faudrait surtout pas négliger sa fonction redistributive : la protection sociale soutient l’économie. Ainsi, il déclare: « On veut faire croire aux gens que, s'ils gagnent de l'argent, ils ne le doivent qu'à leur travail et leur talent. Est-ce totalement vrai ? Bill Gates ou Luciano Pavarotti auraient-ils réussi dans un autre contexte, à une autre époque ? Selon la réponse que l'on donne à cette question, on justifie leur niveau de participation à la solidarité collective. » De fait, chaque citoyen porte une dette vis à vis de la société qui l’a fait devenir ce qu’il est, mais l’impôt, tel qu’on le conçoit aujourd’hui est inadapté précisément parce qu’il « impose ».

Il faudrait donc peut-être remettre en cause le système dans son ensemble, et puisqu’il n’est ni possible ni souhaitable  dans une démocratie, d’uniformiser les revenus, ce sont les modes de contribution eux-mêmes qu’il s’agirait alors de réviser, comme le souligne l’avocat d’affaire Marc-Albert Chaigneau. Pour ce dernier, c’est « la monnaie en tant qu’instrument de mesure » qui nous mène dans l’impasse étant donné que le cours de cette dernière change tous les jours. Il préconise alors une solution radicale : « l’abandon du paramètre financier comme étalon universel ». Une forme de nouvelle contribution complémentaire à l’imposition proportionnelle se ferait alors en « nature » dès l’âge de seize ans, soit en « produit ou en temps de travail, voire, pour ceux qui en feraient le choix, en monnaie qui retrouverait sa nature de moyen d’échange sans redevenir un « instrument de mesure ». Chacun serait alors libre de contribuer selon ses compétences à la vie de la cité, permettant ainsi l'établissement d'une solidarité, en acte. Voilà peut-être une idée d'avenir.

PORTRAIT – Naulleau, poil à gratter des gratte-papiers

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Eric Naulleau présente Ca Balance à Paris

Eric Naulleau présente Ca Balance à Paris

Une barbe hirsute poivre et sel franchit la porte du « Cannibale ». La brasserie du 11ème arrondissement n’a jamais si bien porté son nom : Naulleau est un authentique Hannibal « Lecteur ». Ses yeux rieurs, soulignés de cernes bleutés, sont les témoins de sa passion vorace pour les livres. Il en a dévoré « huit cette semaine » pour préparer ses émissions. « Sans sauter de pages, jamais » précise-t-il. L’homme est avide de nouvelles lectures, mais consciencieux dans son métier : « Ce n’est pas très glamour la télé, c’est beaucoup de travail. » Du temps où il disséquait disques, films et livres dans l’émission de Laurent Ruquier, sa verve a fait de nombreuses victimes : Francis Lalanne se souviendra certainement longtemps de son passage dans On n’est pas couché. Naulleau avait alors revêtu sa robe de « juge », accusant le chanteur de « possession et revente de niaiseries en stock ». Mais l’ancien professeur de français devenu animateur TV se voit surtout comme un « passeur » ; il est un médiateur, chargé d’aider le public à s’orienter dans le labyrinthe culturel.

Séparer le bon grain de l’ivraie stylistique est toutefois une entreprise périlleuse : les écrivains n’apprécient guère d’être évalués. Les professionnels de la critique sont pourtant « nécessaires pour établir des hiérarchies », analyse le journaliste entre deux gorgées de thé Earl Grey. A l’heure du relativisme généralisé, l’auteur de « Pourquoi tant d’E.N » tient à rappeler que « non, tout ne se vaut pas ». Dans Ca balance à Paris, son émission hebdomadaire sur Paris Première, il ose ainsi assassiner le chouchou des prix littéraires, Michel Houellebecq. L’exercice de l’édito, face caméra, était une nouveauté : « Quand on me propose quelque chose que je n’ai jamais fait, je me lance, j’essaye. »

Il faut dire que Naulleau n’a pas froid aux yeux. En duo avec Zemmour ou en duel avec Soral, il recherche sans cesse l’adversité, s’insurgeant contre le « prêt-à-penser pour amateurs de prêt-à-porter ». Ses Dialogues désaccordés, écrits « contre Soral », comme il le souligne à chaque fois, lui ont été vivement reprochés : « Et aujourd’hui, ces mêmes journalistes se démènent pour obtenir une interview de Dieudonné dans leurs émissions ou leurs magazines. » Cette histoire lui a bien valu quelques fâcheries, mais il s’en accommode plutôt bien : « Quand on est droit dans ses bottes, on a l’esprit tranquille ». C’est aussi pour cela qu’il dit « fuir les copinages », les déjeuners avec des écrivains ou des artistes. Son indépendance et sa liberté de ton lui sont chères.

Au fil de l’entretien, l’homme se dévoile davantage. Il retire son écharpe, qu’il pose négligemment sur une chaise en fer rouge, et laisse Naulleau au vestiaire. Eric est à la vie comme à l’écran, franc et direct. Il ne goûte guère aux chichis ou aux mondanités. Sur Facebook, il échange facilement avec ceux qui le souhaitent : son goût pour le débat n’est pas une posture télévisuelle. Ce que l’on sait moins en revanche, c’est qu’il fait très attention à sa ligne : « Peu d’alcool, beaucoup de sport. Trois heures de jogging par semaine. »

Plus agneau qu’Hannibal en réalité, Eric Naulleau a la sensibilité « sobre » mais développée. En véritable boulimique de romans, il regrette cependant de n’avoir plus le temps d’écrire. Un regret auquel seul Guillaume Musso pourrait peut-être apporter une réponse : « Un homme qui part ne doit jamais se retourner.»
A méditer… ou pas.

« Gemma Bovery n’est pas Emma Bovary » — Rencontre avec Fabrice Luchini et Anne Fontaine

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«Une variation contemporaine et ludique sur un personnage de boulanger féru de littérature.» Tels sont les mots d’Anne Fontaine, qui nous raconte l’histoire d’une rencontre. Celle de Martin, incarné par un Fabrice Luchini en ciré vert, et de sa nouvelle voisine, une anglaise pulpeuse en robe légère. Gemma Bovery, c’est son nom, va devenir très vite l’objet des fantasmes de Martin, qui veut voir en elle un double de l’héroïne flaubertienne, Emma Bovary. Il ne cessera pas, dès lors, de dresser des parallèles entre les deux femmes, surveillant et anticipant les moindres faits et gestes de Gemma. «Il redoute qu’elle croise le vrai destin d’Emma Bovary» résume la réalisatrice.

Qu’on se le dise, le film est une réussite. « Un film charmant » pourrait-on dire. Anne Fontaine a filmé une Gemma sensuelle et naturelle dans un décor champêtre, que l’on regarde avec les yeux amoureux et gourmands de Martin, le boulanger : «J’ai voulu rendre érotiques les gestes quotidiens. Apprendre à faire du pain, masser la pâte, verser du thé. Les moindres petits gestes de Gemma sont prétextes à l’érotisation. Et comme vous le savez, les suggestions sont souvent bien plus érotiques que les scènes crues.» Gemma est aussi appétissante que les brioches et les croissants de la boulangerie, et Martin en perd la tête.

Le personnage du boulanger voit le roman de Flaubert se dérouler sous ses yeux. Dans le rôle d’Emma Bovary, Gemma Bovery. Martin devient le metteur en scène d’une vie à l’oeuvre, inspirée par le génie de Flaubert.
Sans le talent de Fabrice Luchini, le personnage n’aurait été qu’un vulgaire voyeur. Que penser en effet d’un homme qui se glisse dans un jardin, observe une femme par la fenêtre, et écoute à sa porte ? «Il y a un côté Fenêtre sur cour dans ce film», s’amuse Anne Fontaine, en référence au film d’Hitchock. Mais tout lecteur n’est-il pas finalement un voyeur, capable de s’introduire dans une autre vie que la sienne ?

La réponse de Fabrice Luchini "Moi j'aime beaucoup être un voyeur..." :

Le film n’est pas une adaptation du roman de Flaubert, comme l’explique l'acteur : «Le mérite du film est qu’il n’a pas du tout l’ambition d’illustrer madame Bovary, qui est un chef-d’œuvre». Flaubert est omniprésent dans le film, comme il est omniprésent dans la vie de Martin. On voit son roman à l’écran, son portrait dans la maison du boulanger, on cite son nom. En cela le film n’est proprement pas « flaubertien », puisque Flaubert tenait absolument à ne jamais apparaître dans son roman.

La réponse de Fabrice Luchini "Nous sommes dans une époque hallucinamment pas flaubertienne..." :

Le film n’est certes pas « flaubertien », ce n’est pas son objet, mais il conserve l’esprit de Flaubert, une ironie mêlée à un humour tout britannique. Pour Anne Fontaine, c’est une comédie qui n’hésite pas à «dire des choses graves dans la cocasserie». Le mot de la fin doit peut-être revenir alors à Gemma Bovery, qui réplique : «Je ne suis pas Emma Bovary, je suis moi ! ».

"Gemma Bovery", un film d'Anne Fontaine, avec Fabrice Luchini et Gemma Aterton. Sortie en salle le mercredi 10 septembre 2014.

PORTRAIT Farida Khelfa – Un certain sourire

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L’ancien mannequin Farida Khelfa a réalisé un documentaire sur son ami Christian Louboutin, diffusé samedi prochain* sur Arte. Portrait d’une femme aux vies multiples.

Farida Khelfa, par Peter Lindberg

Farida Khelfa, par Peter Lindberg

Son large sourire aurait pu inspirer un roman de Sagan. C’est lui qu’on remarque d’abord, comme un affront à la médiocrité et au désespoir. Farida est une liane. Tout est fin chez elle, à commencer par ce cou gracile et droit qui semble traduire une détermination à toute épreuve. La fierté chevillée au corps. Cette force, elle a su l’utiliser pour devenir celle qu’elle a toujours été, une femme libre, à la manière de ces héroïnes de tragédie qui cherchent à contredire la fatalité.

Fuir l’atavisme

Farida Khelfa a grandi dans la banlieue lyonnaise, aux Minguettes, dans les années 60. A l’adolescence, elle décide de ne plus subir les violences d’un père qui s’enfonce dans l’alcool et l’étouffe : «Quand on est jeune et qu’on ne peut pas sortir, ça laisse des traces.» Cette fille d’immigrés algériens n’a pas échappé au sort des enfants de cette génération déracinée : «Trop de non-dits, trop de secrets. La violence est ce qui vient d’abord quand on ne trouve pas les mots» confie-t-elle. «Atavisme», elle ose l’expression : les traumatismes psychiques sont transmissibles, même ceux que l’on ne verbalise pas. Inconsciemment, on ressent les douleurs de nos parents, sans en connaître les origines : « J’ai toujours été une «flippée», une angoissée. Je pouvais passer trois semaines sans sortir. J’étais agoraphobe, j’avais peur des grands mouvements de foule. Ce n’est que très récemment que j’ai pu me promener sur les Champs-Elysées.» Elle a entrepris une longue thérapie, qu’elle a arrêté un temps, puis reprise récemment. Farida ne se laisse pas couler, elle a bien trop peur de se laisser entraîner vers une pente funeste, d'emprunter le même chemin que son père, pour ainsi dire. C’est d’ailleurs par instinct de survie qu’elle choisit de fuir son passé pour mieux construire son avenir. Elle n’a que 15 ans quand elle arrive à Paris.

Lève-toi et marche

Aujourd’hui,près de trente ans plus tard, Farida a relevé son pari. Avec Christian Louboutin, son «ami de quand on était ados», ils sont devenus de véritables icones de mode. Farida a habité chez les parents de Christian. Ils ont, en quelque sorte, grandi ensemble, à écumer les boîtes de nuit. Lui rêvait de chausser les danseuses des Folies Bergères. Ses escarpins aux semelles rouges sont désormais portés par les plus grandes fouleuses de tapis rouges. Farida, témoin privilégié de cette success-story à la française, a décidé d’en faire un documentaire. Elle y valorise le travail encore artisanal et minutieux de son ami, sa simplicité aussi. Mais avant cela, c’est surtout comme mannequin qu’elle s’est fait connaître, «un peu par hasard, même si je ne crois pas au hasard», précise-t-elle. La muse de Jean-Paul Gaultier et d’Azzedine Alaïa, brune racée des années 80, a d’abord cru à une farce : «A Paris, quand on a commencé à me dire que j’étais belle, je devenais agressive. Je pensais que j’étais tellement moche qu’on se moquait de moi.» Farida s’est finalement trouvée une autre famille, «celle que je me suis choisie, mes amis». La jeune femme timide qu’elle était a su faire de cette «double identité» un atout : «Je suis un caméléon, je peux m’adapter à n’importe quel milieu désormais.»

Une femme-caméléon

De cette expérience de caméléon, Farida a tiré quelques leçons : «Je suis convaincue que n’importe qui, même issu des milieux les plus défavorisés, aura toujours à un moment dans sa vie, une chance à saisir. Ce moment, qui peut faire basculer une vie, il faut le reconnaître, être prêt pour cela. Moi-même j’ai manqué beaucoup de rendez-vous qui auraient pu faire basculer ma carrière bien plus vite. Mais finalement, je pense que je n’étais pas prête à ce moment-là pour foncer. Il vaut mieux prendre parfois des chemins détournés.» Le ton de l’entretien devient plus philosophique. Farida me confie aimer les récits historiques, ceux sur la décolonisation notamment. Elle évoque Churchill, et Frantz Fanon, parmi ses livres de chevet. L’ex-mannequin est décidément pleine de surprises, capable de passer d’un monde à un autre, en un battement de cils. Il en est de même pour son tempérament, à la fois triste et gai, incernable. Son visage s’illumine lorsqu’elle parle de ses deux fils, source de joie profonde pour cette mère de famille aimante et impliquée. Mais son regard conserve, lui, une noirceur mélancolique ; même quand elle sourit.

*"Louboutin", documentaire de Farida Khelfa (52'), diffusé le samedi 27 septembre 2014 à 22h35 sur Arte.

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